INCOMMODITES ET TERRIL L'EXEMPLE DU TERRIL DE BERNALMONT
Le but de l'enquête est d'essayer d'établir, à travers les témoignages recueillis au sein de la population, la répartition et la nature des incommodités imputables, directement ou indirectement, au terril de Bernalmont, ainsi qu'aux mines.
Remarque
Bien que notre travail porte sur le terril de Bernalmont, notre enquête a porté sur une zone plus grande, qui englobe le terril voisin de Belle-Vue.
9.2. Le questionnaire
9.2.1. La population concernée et questionnée
La population ciblée réside dans les rues ceinturant les deux terrils, ce qui constitue un avantage dans la mesure où l'on peut disposer d'informations bien réparties.
La rue Jolivet (Liège) située au pied du versant ouest de la terrasse et du terril de Bernalmont.
La rue Joseph-Truffault (Liège) localisée au pied du versant sud mais néanmoins « décalée » par rapport au terril de Bernalmont.
Et de la rue des Petites Roches (Liège) qui prolonge la rue Jolivet, remontant le versant ouest de la terrasse et se poursuivant sur la terrasse au nord du terril de Bernalmont.
La rue Bois l'Evêque (Herstal) située au pied du versant sud de la terrasse et du terril de Bernalmont.
La rue Pied des Vignes (Herstal) située au pied du versant sud-est de la terrasse et du terril de Belle-Vue.
La rue des Renards, la rue de la Hufnale , la rue Champs des Oiseaux et la rue des Vignes (toutes dans la commune de Herstal) situées sur la terrasse au nord-est du terril de Belle-Vue.
Ainsi, des réponses ont été obtenues pour 50 habitations réparties de la manière la plus homogène possible, sur un total de ~70.
9.2.2. La diffusion du questionnaire
C'est la diffusion par enquête directe (auprès des ménages) qui a été choisie. Cette manière de procéder permet d'une part de mieux évaluer la véracité et la réelle ampleur des incommodités ressenties par le ménage et, d'autre part, augmente le nombre de réponses obtenues.
Afin de minimiser l'influence exercée par l'enquêteur sur l'enquêté, c'est un questionnaire à questions ouvertes qui a été utilisé.
Trois questions ont été posées aux ménages. Elles sont rédigées dans un langage courant, tout en cherchant une certaine précision. Afin d'éviter un blocage, les deux questions concernant directement l'enquêté ont été placées en deuxième et troisième position. Ces considérations répondent ainsi aux soucis de clarté, de brièveté et de diplomatie.
Dans votre voisinage, avez-vous entendu quelqu'un se plaindre d'une (d') incommodité(s) quelconque(s) imputable(s) aux terrils ou aux mines ? Si oui, quand, pendant combien de temps et laquelle (lesquelles) ?
Le terril de Bernalmont ou de Belle-Vue vous pose-t-il, ou vous a-t-il posé, une (des) incommodité (s) ? Si oui quand, pendant combien de temps et laquelle (lesquels)?
Avez-vous déjà souffert ( ou souffrez-vous ) de dégâts miniers ? Si oui, quand, pendant combien de temps et lesquels ?
9.3. Analyse des données
Cette étape, basée sur une analyse statistique, permet d'obtenir deux types d'informations : d'une part, des informations qualitatives par l'obtention de catégories de réponses et, d'autre part, des informations quantitatives résultant des fréquences d'apparition des catégories.
9.3.1. La catégorisation
L'objectif de la catégorisation est de fournir une représentation simplifiée, sous forme d'un tableau, des données brutes. Il s'agit donc de regrouper les éléments qui ont marqué les ménages interrogés. Elle comporte deux étapes : en premier lieu, l'inventaire des éléments et, en deuxième lieu, la classification de ces derniers.
9.3.2. L'inventaire
C'est la simple énumération des différentes réponses obtenues, schématisées sous forme de tableau.
Tableau 9.1. Inventaire des incommodités
1.Glissement de terrain (toujours lent et relatif au versant de la terrasse et généralement dans le jardin du ménage) |
2.Fissuration affectant les parois de la maison mais aussi la rue en face des habitation |
3.Basculement de la maison (vers la rue, les murs tendant vers un angle < 90°) |
4.Clôture ou haie qui s'incline ou s'effondre dans le jardin |
5.Mur dans le jardin qui se fissure ou s'effondre |
6.Formation de cavités dans le jardin ou dans la rue(dégradation assez accentuée sur certaine rue) |
7.Blocs de schistes et de grès arrivant dans le jardin |
8.Ruissellement d'eau anormalement élevé (surtout sous forme de ruissellement dans le jardin) |
9.Humidité élevée dans la maison (pied des murs exposés au ruissellement) |
10.Suintement d'eau dans le jardin ou alimentant un écoulement dans le jardin (y compris un suintement résultant d'égout souterrain fracturé) |
11.Inondation |
La liste des incommodités évoquées montre clairement que certaines sont les conséquences d'autres, si bien qu'on peut les regrouper en cinq catégories.
Tableau 9.2. Regroupement des réponses
Groupe |
Incommodité |
1.Glissement de terrain |
Clôture ou haie qui s'incline ou s'effondre |
|
Murs qui se fissurent ou s'effondrent |
2.Eboulis |
Blocs de roche |
3.Dégâts miniers |
Formation de cavités |
4.Dégâts aux habitations |
Fissuration des murs de la maison |
|
Basculement de la maison |
5.Incommodités liées à l'eau |
Ruissellement d'eau élevé |
|
Humidité élevée |
|
Suintement d'eau |
|
(Inondation) |
Le premier et le deuxième groupe appartiennent aux agents de transport en masse.
Dans le premier groupe nous considérerons les glissements de terrain au sens large, c'est à dire lents et rapides. Ce groupe se distinguant du troisième par le fait que, dans les dégâts miniers nous ne prendrons en compte que les formes liées aux effondrements de terrain.
Bien que le quatrième groupe constitue un groupe d'incommodités bien individualisé, il est directement à mettre en relation avec l'ensemble des groupes.
Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que dans ce regroupement, les causes et les conséquences de chaque incommodité ne sont pas bien connues. Par exemple, il est difficile de trouver la cause exacte des fissures affectant les parois de la maison. Cette incommodité pouvant être provoqué par la pression exercée par les glissements de terrain, en relation avec les incommodités liées à l'eau et par l'affaissement provoqué par le tassement des terrains parcourus par les galeries.
A remarquer, également que l'incommodité qu'est l'inondation ne sera pas prise en compte dans la suite de l'analyse. En effet, il s'agit d'une seule et même inondation survenue il y a plus au moins 15 ans (d'après plusieurs ménages), dans la rue Joseph-Truffault. Elle aurait été provoquée par la rupture d'un tuyau destiné au drainage du versant.
9.3.4. Les fréquences d'apparition des incommodités
Les résultats sont maintenant traités de manière à les rendre significatifs. Ainsi, des opérations statistiques simples sont effectuées afin de quantifier les informations recueillies.
9.3.4.1. Part de la population incommodée sur l'ensemble de la population interrogée
Le pourcentage de ménages se plaignant d'une incommodité quelconque est relativement faible par rapport à la totalité interrogée : il est légèrement inférieur à 30 %.
9.3.4.2. Proportion de chaque groupe d'incommodité sur l'ensemble des incommodités
L'ensemble des incommodités dont les ménages se plaignent est au nombre de 23. Il était donc intéressant de connaître, la part que chaque groupe d‘incommodité occupe sur ce total.
Tableau 9.3. Part de chaque groupe sur l'ensemble des incommodités
Groupe |
% |
1.Glissement de terrain |
26 |
2.Eboulis |
4 |
3.Dégâts miniers |
13 |
4.Dégâts aux habitations |
35 |
5.Incommodités liées à l'eau |
22 |
Ainsi, les habitants se plaignent en majeure partie de dégâts aux habitations et de glissement de terrain. Dans ce dernier groupe, c'est surtout des fissurations des parois des maisons dont il est question : fissuration : 80 % ; basculement de la maison : 20 %. Suivent ensuite, les incommodités liées à l'eau et aux dégâts miniers.
9.3.4.3. Récurrence de chaque groupe d'incommodité par rapport au total des réponses recensées dans chaque rue
Tableau 9.4. Données des récurrences des incommodités par rue
|
|
Incommodité |
|
total des incommodités |
aucune incommodité |
TOTAL DES REPONSES |
% DES INCOMMODITES |
|||||||
|
Groupe 1 |
Groupe 2 |
Groupe 3 |
Groupe 4 |
Groupe 5 |
|
|
|
|
|||||
Rue des PETITES ROCHES |
1 |
0 |
0 |
0 |
2 |
3 |
7 |
10 |
30 |
|||||
Rue JOLIVET |
0 |
0 |
1 |
1 |
0 |
2 |
2 |
4 |
50 |
|||||
Rue JOSEPH TRUFFAUT |
1 |
0 |
0 |
2 |
0 |
3 |
5 |
8 |
37 |
|||||
Rue BOIS L'EVEQUE |
4 |
1 |
2 |
5 |
3 |
15 |
4 |
19 |
79 |
|||||
Rue PIED DES VIGNES |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
4 |
4 |
0 |
|||||
Rue au NE des terrils |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
12 |
12 |
0 |
Remarque : la rue de la Hufnale , la rue des Renards, la rue Champs des oiseaux et la rue des Vignes où les ménages ne se plaignent d'aucune incommodité, sont regroupées pour facilité l'interprétation.
9.4. Interprétation des résultats
Les résultats sont ici représentés sous forme de carte afin d'exprimer les phénomènes en terme d'espace. Elle constitue, ainsi une représentation simplifiée de la répartition spatiale des ménages incommodés sur l'ensemble de la ceinture habitée reprise sur la carte plus haut.
Analyse de la carte
La carte révèle que dans les rues entourant le terril de Belle-Vue, aucune personne ne se plaint d'un problème quelconque (rue Pied des Vignes, rue des Renards, rue de la Hufnale , rue Champs des oiseaux et rue des Vignes, y compris le building de L'Esplanade de la Paix ) !
Par contre, c'est totalement différent pour les rues entourant le terril de Bernalmont. Néanmoins il est important de nuancer les résultats obtenus :
La rue des Petites Roches obtient 30 %. L'incommodité y est donc moyenne et résulte en majeure partie d'un suintement d'eau nauséabonde coulant continuellement sur la route et incommodant certains ménages de la rue. Les ménages incommodés par son influence apparaissent clairement sur la carte. Il a visiblement été provoqué par la rupture apparue en mars 2001 d'après certaines personnes, il y a des années pour d'autres, d'un égout qui passe à quelques mètres à peine du versant nord-ouest du terril de Bernalmont (confirmé par tous les ménages de la rue).
La rue Joseph-Truffaut obtient 37 %. Mais dans cette rue, les ménages se plaignent surtout de fissures de petites tailles affectant leur maison.
La rue Jolivet obtient 50%. Les habitants de cette rue se plaignent de fissures qui se créent sur les parois de leur maison et surtout de cavités qui se créent dans leur jardin. C'est le seul endroit où ce phénomène est relaté, provoqué apparemment par le tassement des mines sous-jacentes. Les cavités sont de petites dimensions (2 à 3 m de diamètre), peu nombreuses, et ne provoquent pas de dégâts importants.
Finalement, la rue Bois l'Evêque est la rue qui enregistre le plus grand nombre d'incommodés : 79 %. De plus, quasiment chacun des ménages de cette rue se plaint de plusieurs incommodités. Ainsi, bien que les autres rues enregistrent des pourcentages moyens, c'est dans cette rue que se regroupent la majorité des incommodités. Elles sont variées, mais les glissements de terrain ainsi que les fissures (pouvant atteindre de grande taille dans cette rue) affectant les murs des maisons sont prédominants. La majorité des glissements que nous avons observé dans cette rue se sont comportés, ou se comportent comme des masses visqueuses : ce sont des phénomènes de « flow » (Sharpe, 1938) ou de creep. Les ménages nous ont dit que la majorité de ces glissements sont assez lents. Ils nous ont également montré, comment ils ont luté contre ceux-ci : certains ont ainsi construit des murs perpendiculairement à la pente du versant afin de freiner les mouvements de terrain, d'autres rajoutent de la terre dans leur jardin pour compenser les pertes ! Mais ces personnes nous ont révélés que pour être efficaces, leurs efforts doivent être fournis constamment : les murs se fissures et finissent par s'effondrer, la terre descend rapidement vers le pied du versant y formant de petits monticules. Ce qui dans la majorité des cas s'est avéré quasiment impossible à effectuer tant les coûts de ces efforts sont élevés. Les ruissellements d'eau anormaux de surface ou de subsurface ne sont également pas à négliger. Ils sont dus soit, à une source d'eau située plus haut sur le versant, soit directement aux eaux de pluies. Ils affectent les jardins en pente (sur le versant de la terrasse) des habitants et viennent parfois buter sur le mur faisant face au jardin de l'enquêté, provoquant ainsi l'érosion du mur et une humidité élevée au même niveau (sol souvent saturé). C'est également, dans cette rue que les incommodités sont les plus nuisibles et les plus impressionnantes. Un habitant de la rue, dont le jardin s'étend de sa maison au pied du versant jusqu'au pied du terril de Bernalmont, affirme souffrir de chutes de roches arrivant dans son jardin (après une vérification sur le terrain, il apparaît que la personne a fortement exagéré). Par contre, deux personnes souffrent d'un basculement de leur maison dans le sens opposé au versant. Le phénomène est continu et ne cesse de s'aggraver (l'angle entre le mur de la maison et l'horizontale se restreint de 1 à 2 degrés chaque année d'après les habitants). Il existerait depuis plus de 20 à 30 ans (d'après les 2 enquêtés). A l'arrière, de ces deux maisons, d'importantes fissures longitudinales (large de 1 à 2 cm ) affectent le mur de la maison et la terrasse du jardin. Soulignons également que le revêtement de cette rue est en très mauvaise état, bien que celui-ci soit rénové assez régulièrement (effondrements et fissuration du revêtement). D'autre part, il est important de souligner, que les ménages de la rue qui ne sont pas incommodés se situent au pied des zones densément boisées du versant. Montrant toute l'importance de l'action de la végétation sur la régulation des écoulements d'eau et de leur capacité, grâce à leur racine profonde de fixer la terre. De part ces actions, la végétation limite (mais supprime pas) le risque de formation d'un glissement de terrain sur terrain en pente.
Ces considérations nous ont ainsi montré que les incommodités sont regroupées dans la rue au pied de la partie du versant la plus raide de la terrasse surplombée par le terril.
Elles nous ont également permis de constater que les agents de transports en masse se produisent essentiellement là où la présence d'eau est omniprésente. En effet, l'eau joue un rôle considérable dans la formation des glissement de terrain (voir chapitre 6). Le nombre de dégâts aux habitations atteint également sa valeur maximale dans cette zone. Mais le mouvement des versants de la terrasse peut également être influencé et accéléré par les habitants eux-mêmes.
Remarques
Aucun des ménages interrogés (échantillon aléatoire de locataires) dans building de ‘'L'Esplanade de la Paix '' de la rue Hayeneux n'éprouvent d'incommodités quelconques.
A chaque fois qu'un ménage s'est plaint d'une incommodité, nous avons demandé auprès du ménage concerné la possibilité de nous montrer celle-ci. Ceci a été fait dans le but de vérifier et d'évaluer la véracité des réponses obtenues.
Cette vérification n'a pu être opérée pour tous les ménages concernés.
Des ménages exagèrent leurs incommodités, d'autres ne veulent pas parler et préfèrent vivre avec leurs incommodités plutôt que de voir remplacer les terrils par l'apparition d'autres sources d'incommodités plus nuisibles. D'autres encore se sentent fortement attachés aux terrils et ont peur de les voir disparaître (ces considérations s'appuient sur les témoignages de certains ménages).
Certains ménages se plaignant de plusieurs incommodités, le nombre d'incommodités recensé (56 réponses) n'est pas égal au nombre de ménages (50 ménages).
Certains ménages de la rue Bois l'Evêque, nous ont dit que la voie de chemin de fer passant au pied de la rue (reliant la gare du Palais à la gare de Herstal) a été souvent soumises à des réparations quelconques. M. Gilsoul, ingénieur industriel responsable de l'entretien et de la gestion des infrastructures ferroviaires en région liégeoise, a démenti ces faits.
La source S3 peut être la cause des problèmes liés à l'eau rencontrés par les habitations de la rue qui se situe juste en contre-bas de celle-ci.
9.5. Conclusion
Cette enquête nous a apporté beaucoup dans le cheminement de notre étude.
Tout d'abord, nous avons découvert des éléments (sources, cavités, glissements de terrain) que nous n'avions pas vu lors de nos reconnaissances sur le terrain : des éléments difficile d'accès car localisés dans le jardin des ménages ou qui se sont produits il y a longtemps, imperceptibles, qui n'ont pu être vécus et témoignés que par quelques ménages.
Ensuite, elle nous a révélé les zones d'habitat les plus incommodées. Elle nous a permis de nous focaliser sur les zones où les phénomènes incommodants sont les plus actifs.
Elle nous a aussi permis de nous pencher sur les incommodités vécues au quotidien par les ménages. Et des lutes que ces ménages ont essayé de mettre en œuvre contre celles-ci.
Finalement, elle nous a aussi permis de nous pencher sur le caractère à plusieurs causes de ces incommodités ainsi que des corrélations spatiales de certains groupes d'incommodités.
Photo 9.1. Habitations et jardins dans la rue Bois l'Evêque